De 1924 à 1991 : d’Alexandre DETROY à Marcel DHENIN
Animavia est une association d’éleveurs et d’amis de la nature qui trouve ses racines dans les années 1920.
C’est aussi l’œuvre d’un homme qui, d’un club d’aviculteurs, a fait dans les années 1960 un groupement avicole et zoologique se fixant quatre buts : favoriser l’élevage amateur, protéger les races domestiques régionales, contribuer à la protection de l’environnement, développer une éducation de la vie basée sur le contact avec les animaux.
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Saga ANIMAVIA…
15 avril 1924, Grand Place de Lille, alors appelée place de la Déesse, trois messieurs, « bien », comme l’on disait alors (ils portaient tous trois chapeaux…) discutent ferme et entrent au « Bellevue ». La discussion s’enflamme. En effet, l’un d’eux ne conçoit plus l’élevage avicole tel que ses interlocuteurs, membres des « aviculteurs du Nord », le défendent.
Le contestataire parvient à les convaincre. Les trois deviennent sécessionnistes. Ils quittent les « Aviculteurs du Nord ». « La Basse cour Familiale » est née. Ses statuts paraitront « Au journal officiel de la République Française » du 25 novembre 1925, sous le numéro d’enregistrement 01795.
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Un choix de société
Ce contestataire s’appelait Alexandre DETROY. A 76 ans, toujours dynamique, il crée cette nouvelle société car il a conscience que l’aviculture, telle qu’on la pratique alors, ressemble fort aux cercles anglo-saxons, visant uniquement le côté sportif et négligeant, le côté pratique et utilitaire. Dans les statuts déposés à cette époque ne le dit on pas :
« Est fondée la Basse Cour Familiale de Lille, société aviculture, dont le but est de propager l’élevage des oiseaux et des animaux de basse cour, EN PARTICULIER PRES DES CLASSES LABORIEUSES ».
Ceci provoque une petite révolution en aviculture qui, jusque la, est aux mains des classes bourgeoises et industrielles.
Sous sa présidence, énergique, la « B C F » prend un prodigieux essor. Des expositions se tiennent à Lille au palais Rameau. Si les aviculteurs du Nord exposent vers la fin de l’année, les expositions de Basse Cour Familiale se tiennent, elles, au début de l’année… En 1929 (c’était la 5ième), elle compte déjà 1200 animaux et se tient le 1er dimanche de Février. Cette tradition va demeurer jusqu’en 1992 !
Régulièrement sont organisés des « concours de visites d’élevages ». Toute la société voyage alors en camionnettes ou voitures particulières, propriétés d’aviculteurs plus fortunés ; des concours ou expositions photographiques se tiennent aussi occasionnellement.
Alexandre Detroy décide de faire paraitre une revue mensuelle et gratuite destinée à tous les adhérents où se mêlent conseils avicoles et de jardinage « toute chose pouvant améliorer la vie des classes laborieuses ».
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Une difficile succession
A sa mort, le 15 mai 1932, la Basse Cour Familiale compte 2000 membres. C’est la grande époque de l’élevage familial.
Avant de mourir, A DETROY a légué au Musée d’histoire naturelle de Lille une collection d’animaux de Basse cour rares. Elle fait partie du fonds que nous avons enrichi de dons nouveaux en 1994.
M Delfortrie, Conseiller Général et Président d’Honneur assure la présidence active de 25 juin au 04 octobre, ses nombreuses obligations l’obligent à abandonner et, durant 3 ans, la Basse Cour Familiale est administrée par l’un de ses Vice présidents : J ROUSSEL.
En 1935, J ROUSSEL (de Phalempin) est élu président et L Dannel, Président d’honneur. Sous l’impulsion de J ROUSSEL, la société prospère.
Il multiplie les efforts pour recréer la chèvre de Rameau, aujourd’hui complètement disparue.
Il relance, à l’époque, les poules de BOURBOURG et d’ESTAIRES.
En 1938, la BASSE COUR FAMILIALE, en pleine extension, est chargée de réaliser dans le cadre, grandiose pour l’époque, de l’EXPOSITION DU PROGRES SOCIAL, une ferme modèle et, bien sûr, une exposition avicole, exposition qui se déroulent dans le cadre de la Foire de Lille.
Survient la guerre, toutes les sociétés, par la force des choses, entrent en léthargie et, dans ces cas là, les réveils sont toujours laborieux…
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Un Président de 27 ans : Marcel Dhenin
En 1949, sous l’impulsion de D DAMBRINE et de J DANCHIN (maître es aviculture), la Basse Cour Familiale renaît de ses cendres et est gérée par un comité provisoire.
Dès la première assemblée générale en 1950, L DANEL est réélu Président d’honneur, Lucien BASTIEN prend alors la présidence active, le secrétaire est L DAMBRINE aidé par un secrétaire adjoint qui s’appelle Marcel DHENIN. Ce comité organise les 7 et 8 octobre 1950, à la Madeleine, la première Exposition Avicole Lilloise, digne de ce nom. LOOS et LA MADELEINE accueillent aussi quelques expositions avicoles banlieusardes …
Lors de l’assemblée générale annuelle du 4 novembre 1950, les changements, de fait, étaient entérinés : D DAMBRINE était élu Président, aidés de deux vices présidents : Messieurs COTTENVE et Marcel DHENIN.
Le 3 mai 1952, D DAMBRINE démissionne. A l’unanimité est élu Président : Marcel DHENIN, jeune Président de 27 ans. Dès 1953, le 7 février exactement, le tout jeune Président que rien n’effraie, fait entrer l’aviculture au centre de Lille.
La première exposition Lilloise de l’après-guerre a lieu salle Roger Salengro sur la grand place !
En 1954, Marcel DHENIN installe l’exposition à la foire commerciale de Lille.
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1954 : l’aventure commence à la foire de Lille
En fait, une convention liant la ville de Lille à la société d’exploitation de la Foire commerciale de Lille, interdit toute exposition « où se produit un acte de vente » dans des locaux municipaux. Georges BOUCHERY, maître de la foire commerciale, a eu vent que les éleveurs vendaient leurs produits au cours de l’exposition de la Basse Cour Familialle.
Cela a suffi pour faire jouer la convention et contraindre la BCF à passer sous le régime commercial de la foire. En clair, louer ce que la ville leur accordait gratuitement. Le coup aurait pu être fatal. Ce fut, en fait, une chance historique, qui doit beaucoup, à la rencontre entre Georges BOUCHERY et Marcel DHENIN. Ce dernier accuse le « lion » de renier ses origines populaires en tuant une société d’ouvriers qui n’a pas les moyens de louer, ne serait ce qu’une remise à la Foire de Lille. Georges BOUCHERY, interloqué, tonne, raconte ses jeux d’enfants, patinant dans les fossés de la citadelle, sa passion des animaux etc. En fait, le coup a porté.
Georges BOUCHERY s’associe à la Basse Cour Familiale en lui offrant les seules conditions possibles : la Foire prélèvera un pourcentage sur les droits d’entrée en échange de la mise à disposition gracieuse (et en l’état) de la surface nécessaire à l’exposition.
Un pari sur l’avenir, certes, mais un pari gagnant. Les débuts seront difficiles.
A l’issue d’une exposition dans le grand restaurant de la Foire de LILLE ou neige et glace avaient rendu le visiteur plus rare que les trèfles à quatre feuilles, Marcel DHENIN ira, penaud, expliquer la situation au terrible président, réputé pour ses éclats. Il n’aura pas le temps de plaider sa cause. Du fonds de son bureau, Georges BOUCHERY l’apostrophe : « t’as pas de sous ? Je le sais bien. Files, tu ne me dois rien ».
La passion d’un homme avait finalement séduit celui qui se bâtissait une réputation de requin des affaires mais qui raisonnait plus par passion et sentiments que par calcul financier. En 1954, l’exposition accueille les animaux malheureux de la LPA et devient : « LE PREMIER SALON LILLOIS DES ANIMAUX ».
En 1960, le Salon a lieu du 25 au 27 février. Il devient international car, pour la première fois, il accueille des exposants belges. La Basse Cour Familiale de Lille devient la BASSE COUR FAMILIALE DU NORD. Déjà on constate un très net changement au sein du salon qui a perdu le caractère strictement avicole au sens ou l’entendaient les précurseurs car on y trouve : des chiens, des poneys, des abeilles… des poules et des lapins bien sûr… mais également des serpents et des lions…
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L’arche de NOE Animavia
Alexandre DETROY avait cassé l’image bourgeoise de l’aviculture. Marcel DHENIN va briser le mystère de l’exposition en dépassant largement les limites de la Basse Cour. « A Lille, on fait du cirque », entendra-t-il dire durant des années.
Il n’en aura que faire. Comme Alexandre DETROY, il a la foi des précurseurs, innovant sans cesse pour attirer un public élargi. Homme médiatique, il veut séduire pour convaincre. L’exposition avicole en tirera toujours profit.
Dès 1962, elle franchit la barre des 2000 sujets et s’intitule alors officiellement : « Salon International Des Animaux »…
Le nombre, la nationalité des exposants et la variété des animaux exposés ne cessent de croître et, en 1964, Lille accueille des Allemands, des Suisses, des Hollandais et des Anglais. Aux chiens et poneys sont venus se joindre les chevaux de trait, de selle, les oiseaux de cages et les animaux exotiques.
Le cap des 10 000 visiteurs est franchi !
Le 2 mai 1964, la « Basse Cour Familiale du Nord » change de nom et devient : « le Groupement Avicole et Zoologique du Nord », dénommé ANIMAVIA.
Les années 70 sont à marquer de pierres blanches pour ANIMAVIA 1970, les dauphins de Jean RICHARD marquent le début d’une partie attractive du salon, partie attractive qui, désormais, se perpétuera.
Là aussi, il y aurait beaucoup à dire sur la générosité de Jean RICHARD et la persuasion de Marcel DHENIN !
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Agir pour les enfants du béton
Une section junior est créée : « ANIMAVIA JEUNESSE ».
Pierre Dhenin l’animera « afin de montrer aux enfants du béton que les pommes de terre ne poussent pas dans un paquet de purée lyophilisée et que les petits cochons ne naissent pas dans les barquettes de cellophane ».
A Englos également est lancé le « premier centre expérimental d’élevage et de recherches avicoles », hélas ! Rapidement abandonné, faute de subsides.
1978, 30 000 visiteurs franchissent les portes du 24eme salon. Ce nombre ne fera que croitre… Bientôt ANIMAVIA quitte son siège, place Rihour, pour occuper un bureau permanent à la Maison de la Nature et de l’Environnement…
1982 voit franchir la barre psychologique des 40 000 visiteurs. Nous voici bien loin des débuts modestes des années 1920. Pourtant la volonté populaire des origines n’a pas changé. L’évènement Lillois a simplement grandi au rythme des innovations voulues par son président, Marcel DHENIN. Ce dernier voit ses responsabilités locales, régionales et nationales s’accroître.
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Consécration nationale
Président du Syndicat National des Directeurs des Parcs Zoologiques, il joue un rôle essentiel dans la réorganisation de l’aviculture amateur, acceptant la présidence de la Confédération Nationale de l’Aviculture Française.
A la pointe des idées novatrices, il préside aussi le groupement des fermes d’animation né d’un colloque organisé à Lille en 1981.
Le palmarès est long. Concrètement, à Lille, Pierre MAUROY l’appelle en mairie pour régler le dossier « animalier » : gestion de la fourrière, lancement d’une ferme pédagogique, règlement des problèmes graves qui se posaient alors au zoo de la citadelle. L’estime réciproque qui existe entre le premier ministre de l’époque et le président d’ANIMAVIA fera merveille.
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Animavia spectacle
En 1984, ANIMAVIA fête son soixantenaire en accueillant les gardiano de Camargue et le premier salon aquariophile du Nord de la France. Dès 1985, Georges BRANCHE séduit par ses cascades et numéros équestres et, jusqu’en 1991, tous les salons gravitent autour d’un thème annuel, animation du grand spectacle : Marco Polo, Zorro, Davy Crockett, Hannibal, Tarzan…
A la progression du Salon en qualité et en surface, va correspondre, fort heureusement, une explosion de la fréquentation. Changeant de halls en 1985, ANIMAVIA devra même fermer ses guichets le dimanche de février 1988, à 17heures, pendant plus d’une demi-heure pour éviter la panique dans les halls, tant la foule est dense ! Le salon est passé de 40 à 60 000 visiteurs !
Enrichi de cette rude expérience, le comité du salon occupera dès 1986, trois halls de la Foire de Lille (B, C et F).
Doté de larges allées avec des points d’animation multipliés, le salon ANIMAVIA (le nom de l’association s’identifie de plus en plus au salon lui-même) part à la conquête d’une image nationale et même internationale.
A la fin des années 1980, le pari est en passe d’être tenu, même si le salon doit encore améliorer son image, élargir sa palette d’exposants et surtout élargir son financement pour éviter de couvrir, chaque année, l’énorme pari qui est le sien : assurer plus de 70% de ses besoins financiers par la seule billetterie.
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1991 : l’année noire
1991 sera l’année noire tant redoutée.
Le salon s’ouvre dans une période néfaste.
« La guerre du Golfe » inquiète certains qui préfèrent rester chez eux et comme le dit Marcel DHENIN : « par la T V, savourer dans leur salon des images de mort alors que nous exposons la vie ».
Si 55 000 personnes sont venues quand même (un triomphe vue les circonstances), le déficit financier est énorme. En un Salon, ANIMAVIA a perdu plus de sept années d’économies…
Ce revers financier, joint à la hantise d’une retraite professionnelle qu’il estime cette fois inéluctable, atteint fortement le moral du président fondateur.
Début mai, un bilan de santé l’alarme assez pour qu’il adresse à ses amis les plus proches une lettre prémonitoire d’une profonde humanité, d’une réelle tendresse.
Le 16 mai 1991… les « Bet’leux »… perdent leur guide.
Marcel DHENIN est mort…
Pierre MILLECAMPS assure l’intérim de mai à septembre. En aout, comme Marcel DHENIN l’aurait souhaité, ANIMAVIA assure l’exposition de Merville et, lors de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 18 septembre, Pierre DHENIN, à l’unanimité (comme son père en 1952), est élu Président.
Dès juin 1991, le Conseil d’Administration avait décidé de continuer l’œuvre entreprise par Marcel Dhenin, la première réunion de Commission eut lieu le 18 juin, un mois, jour pour jour, après ses funérailles…
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Poursuivre l’œuvre
Ce seul article est bien incapable de rendre l’importance de l’œuvre accomplie, action basée sur une réelle réflexion autour du vivant. Grâce à Marcel DHENIN, des centaines de milliers de citadins ont retrouvé le contact avec le monde du vivant, des dizaines de milliers d’enfants ont été initiés à la vie animale.
Homme de plume, Marcel DHENIN laisse aussi une œuvre rédactionnelle importante que reste à éditer.
Plus encore, Marcel DHENIN a développé un certain état d’esprit en favorisant le rapprochement entre éleveurs et citadins.
Le plus bel hommage que l’on puisse rendre à cet homme de cœur d’une tendresse et d une générosité sans failles sera de poursuivre et d’enrichir l’action d’ANIMAVIA a travers le salon certes mais aussi les campagnes de défense animale, la protection du patrimoine vivant et enfin et surtout la multiplication des « lieux de vie », fermes d’animation ou centres d’élevage. Marcel DHENIN fut toute sa vie un précurseur, un rassembleur.
Faisons en sorte que son œuvre lui survive.
(À suivre)